Eléments
de réflexion sur les méfaits de l'humour
"
Le rire est satanique "
Charles Baudelaire in De l'essence du rire
"
L'humour est enfant de nos haines "
Jacques Prévert
En
premier lieu nous nous référerons à l'excellent article de l'Encyclopedia
Universalis (pages 1667/68 du tome 3 du Thésaurus) dont nous
reproduisons ici de larges extraits (les passages en gras le sont à notre
initiative) :
" […] L' " humeur " dans la physiologie
médiévale, assimilée à des fluides tels que le sang, la lymphe ou la bile
qui déterminaient des types de tempéraments selon leur équilibre, s'est
traduite, dans la littérature de la Renaissance anglaise, sous la forme
d'excès dont il fallait corriger la part irrationnelle ou les méfaits
immoraux (W. Temple, W. Congreve). L'humour désignait alors les conséquences
d'une rupture de l'équilibre entre ces humeurs […].
Ce n'est pas par hasard, d'ailleurs, si des états d'âme tels que l'humour
et le spleen, d'apparence étrangers l'un à l'autre, donnent tous deux
matière à des styles littéraires fort peu différenciés ; l'humour comme
remède à la mélancolie apparaît dès le XVIe siècle et cherche non seulement
à caricaturer tel trait distinctif d'un personnage ou d'une situation,
mais à masquer un rapport qu'il laisse volontairement en filigrane : celui
de l'impuissance humaine face à un univers sinon hostile, du moins
incompréhensible (Falstaff, Don Quichotte).
C'est au XIX e siècle qu'on cherchera en Allemagne, et en particulier
chez Jean-Paul, l'élucidation de ce rapport dans lequel l'humour confronte
les types humains particuliers avec leur correspondant généraux. […]
L'humour s'allie à un mépris de l'univers qui cache l' " idée
anéantissante " (unendiche idee) d'une intelligence limitée et
démasquée comme telle par la raison (Vernunft). Il pourrait s'assimiler
ainsi à une sorte de " démence " (Wahnsinn) qui transformerait
la mélancolie en plaisanterie par l'effet supérieur d'un " moi parodique
" (parodischen Ich). […]
[Chez Kierkegaard], l'humour reste lié, après le désespoir de la relativité,
à un non-engagement dans le monde, puisque le sens se trouve délibérément
ailleurs ; il n'a donc rien à dire, rien à prouver et désigne plutôt
un comportement qui se passerait de sens. […] La mélancolie
des romantiques, face cachée de l'humour, représente bien le péché
par excellence : celui de ne pas vouloir profondément et sincèrement
et de se laisser tomber dans le désespoir. […]
L'explication donnée par Freud désigne un moi qui se défend de la douleur
et refuse de se laisser toucher par les contradictions du monde extérieur.
[Ce phénomène] renforce ainsi le narcissisme sur lequel
s'appuie l'invulnérabilité du moi vis-à-vis des événements extérieurs.
Ce mécanisme qui tend à démentir la réalité et à sauvegarder le
plaisir pourrait ne constituer qu'en un processus régressif s'il
ne comportait pas en même temps le " moi parodique " de Jean
Paul qui, de la place du père qu'investit le surmoi, regarde avec commisération
le moi faible et infantile. "
Quelques
professionnels de l'humour décédés prématurément :
Molière, Moerell, Thierry le Luron, Coluche, Igwal, Pierre Desproges,
Reiser, Alexis, Bruno Carrette, Elie Kakou…

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